La double vie des enfants de la rue de Yaoundé

Article : La double vie des enfants de la rue de Yaoundé
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22 février 2013

La double vie des enfants de la rue de Yaoundé

Leur fief ? L’Avenue Kennedy, en plein cœur du centre ville de Yaoundé. Ils sont facilement identifiables : vêtements sales et parfois très très sales, à peine chaussés, les cheveux crépus comme s’il y avait des lustres que l’eau et le peigne n’étaient passés par là. Et si aux premières heures de la matinée certains sont encore couchés sur des cartons déchirés faisant office de lit de fortune, d’autres se sont réveillés très tôt, leur visage portant encore les traces de salives séchées et les yeux rouges, signe d’une sortie de sommeil récente. Ils sont presque toujours assis soit sur cet espace aménagé par la Communauté urbaine de Yaoundé pour décorer la rue de l’Avenue Kennedy avec des fleurs, soit avec une éponge, prêts à nettoyer les véhicules, surtout personnels qui sont garés respectant les feux de signalisation.

Eux, se sont les enfants de la rue de Yaoundé, la capitale politique du Cameroun. Ici au pays, on les appelle « enfants de la rue », « nanga boko », « pick-pocket », « récalcitrant », « brigands », « SDF » et bien d’autres. De toute façon, toutes ces appellations renvoient à ces jeunes enfants, pour la plupart de sexe masculin, qui disent n’avoir pas de famille et qui ont élu domicile dans la rue, et pas n’importe quelle rue, le centre ville de Yaoundé.

On peut les circonscrire principalement entre l’Avenue Kennedy, l’Institut français de Yaoundé, tout le rond point de la Poste centrale, l’ancien Immeuble de la mort, la montée SNI, le marché du Mfoundi, jusqu’au Pont de la gare et la Gare voyageur elle-même.  Ces zones sont dites très dangereuses à certaines heures de la soirée, et même déjà en journée. Car à toute heure, ils sont là. Pour parler comme les habitants de ces quartiers, ces endroits sont leurs lieux de travail et leur domicile en même temps. Pour mieux comprendre la double vie de ces enfants, on va y aller étape par étape.

Leur lieu de travail

Ces zones précitées accueillent des milliers de personnes par jour, toute couche sociale confondue, parce que c’est là que  se retrouvent deux grands marchés de la ville, à savoir le marché central et le marché du Mfoundi. En plus, ces zones regorgent des plus grands supermarchés,  sans compter que c’est l’un des poumons des affaires de la ville. C’est également un passage presque obligé pour se rendre dans les ministères et autres lieux de travail. Donc, qu’on le veuille ou non, il y aura toujours du monde. Et qui dit beaucoup de personnes dit beaucoup de travail pour ces très jeunes ouvriers dont la besogne est de voler à la moindre occasion. A une époque, leurs cibles étaient les femmes et les personnes nanties, dont le signe visible de la richesse est la possession d’un véhicule personnel. Aujourd’hui, tout le monde qui passe par là est une cible potentielle.

J’ai essayé dans le cadre de la collecte des informations d’approcher l’un d’entre eux qui a préféré que je l’appelle Ismaël « mais ce n’est pas mon vrai nom madame. Je ne te connais pas, donc je ne peux pas te donner mon nom » m’a-t-il dit. Retentissant au début, pour un billet de banque de mille francs CFA, il a accepté de parler. Ismaël est originaire de la région de l’Extrême nord du pays. Il ne connaît pas son âge exact, mais personnellement, je l’estime à environ 17 ans. Pourquoi vis-tu ici dans la rue ? Lui ai-je demandé. Et dans un français très approximatif, il raconte : «  Cela fait déjà longtemps que je suis arrivé à Yaoundé. Quand j’étais dans mon village, je vivais avec mes parents. Mais on me disait toujours qu’à Yaoundé il ya beaucoup d’argent. Un jour, mon cousin et moi avons pris le car et arrivé à Ngaoundéré, on a volé le train. Ce n’était pas facile de voler le train parce qu’il ya la police qui contrôle. Cela nous a pris beaucoup de jours parce qu’on nous avait arrêté mais on s’est échappé… Bref, nous sommes arrivés à Yaoundé et là on ne connaissait personne. A la gare même, on a vu les jeunes qui dormaient dehors et on a commencé aussi à faire comme eux et finalement, on est devenu amis. Ce sont eux qui nous on montré la ville et le travail. » Parlant justement de travail, comment il se passe ? «  Ce n’est pas facile madame, moi je n’aime pas le vol comme les autres. Je nettoie les voitures des gens quand ils s’arrêtent ici(aux feux de signalisation ndlr) et parfois ils me donnent une pièce d’argent. C’est avec cela que j’achète ma nourriture et la nuit je dors au marché du Mfoundi ». Pourtant, j’apprends en rencontrant justement les commerçants du marché du Mfoundi qu’en réalité, la majorité des cas de vole et même de viol à certains endroits sont attribués à leur actif. Certaines sources affirment qu’en journée ils font semblant de nettoyer les véhicules, de mendier. « C’est juste pour distraire » confie Marguerite, une commerçante. Elle continue en disant qu’une seule minute d’inattention suffit pour qu’ils dépouillent leurs victimes.

En journée

En journée, ces enfants de la rue, pour parler comme chez nous ces « nanga boko » sont les plus gentils, toujours prêts à saluer le passant, certains vont même jusqu’à enlever la poussière  sur les chaussures des passants pour une pièce d’argent. D’autres s’arrêtent juste à mendier du genre « Madame j’ai faim » « aidez-moi stp » et autres. Le troisième groupe c’est ceux qui ont une éponge en main pour faire semblant de nettoyer les beaux véhicules en échange toujours de l’argent.

Dans la nuit

C’est à ce moment qu’on voit leur vrai visage pour parler comme au Cameroun. Difficile de traverser leurs zones à pied sans être attaqué. Certaines victimes témoignent qu’ils sont très souvent armés de couteaux et autres objets pointus et dangereux pas seulement pour effrayer les agressés, ils n’hésitent pas à s’en servir à la moindre occasion. Leurs voisins les plus proches, racontent qu’en début de soirée, ils fument la drogue et prennent tout genre d’excitant pour avoir du courage la nuit et affronter tout genre de personnes et des situations. Marguérite, une commerçante pense que c’est avec l’argent qu’ils réussissent à avoir en journée qu’ils s’achètent toutes ces drogues et alcool qu’ils consomment.

En évoquant un possible retour en famille, mon interlocuteur Ismaël n’y pense même parce que «  je suis déjà habitué madame. Ici personne ne me dérange, et mes amis sont gentils avec moi. Yaoundé est bien plus que mon village et je ne rentrerais plus. Voulant comprendre les textes législatifs relatifs à ces enfants, j’ai approché une responsable du service de documentation du ministère des Affaires sociales, et malheureusement, elle n’a pas trouvé les textes y relatif. Ces enfants à qui personnellement je souhaite un meilleur avenir hors de la rue, sont pour le moment des véritablement dangers publics à Yaoundé.

 

Crédit photo constricts.rssing.com
Crédit photo constricts.rssing.com
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Commentaires

Serge
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au congo il y en presque 100 mille dans la ville de Kinshasa, et la plus part avait été accusé de sorcelerie par leur famille...
triste pays!

Irène
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Félicitations ma chou... pour que jamais ne s'éteigne la flamme du journalisme qui brûle depuis des années déjà... courage

josianekouagheu
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A Douala, ces enfants sont identifiables comme ceux que tu décris Ariane. Mais d'après des informations qu j'ai eu, certains désertent des foyers pour la rue, tellement ils se sentent à l'aise. Ils sont dangereux, c'est vrai. Mais je me demande toujours ce qu'on peut faire pour eux.
Ils ont besoin d'être rein serrés dans la société.
Leur sort est trop triste...

Kany
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Que Dieu leur en viennent en aide. Dans mon blog, il y a un blog qui traite également des enfants des rues " les talibés).